Serenata Mariachi [R]

Cela faisait maintenant plus d’une semaine qu’une chaleur étouffante avait envahie la douce ville de Rome, la faisant tourner au ralenti une bonne partie de l’après-midi, toute activité quelle qu’elle soit étant largement prohibée. Les étudiants avaient pris pour habitude, dès la fin des cours, d’envahir le par cet de s’étaler à l’ombre des bosquets. De nombreux petits groupes se formaient, qui comprenaient toujours un ou deux musiciens qui se chargeaient de l’ambiance, les autres les accompagnant de leurs voix mélodieuses ou tout simplement profitant de la mélodie qui s’élevait doucement dans l’air moite.

Enzo n’était pas bien différent des autres, à l’exception près que la plupart de ses après-midi était pris par son emploi à la pizzeria et qu’il ne pouvait donc pas autant profiter du parc que les autres. Il s’arrangeait alors en général pour rattraper son retard les soirs, après le boulot, quand la lumière commençait à baisser et que le ciel s’enflammait de pourpre, moment où tout était possible, moment magique tout simplement.

Ses soirées étaient toutes semblables. Il prenait une douche rapide et fraîche pour se débarrasser de la transpiration et farine accumulée lors de son boulot, puis il saisissait d’une main sa vieille guitare, son éternelle amie pour foncer directement vers un coin reculé du parc, à l’abris des yeux et oreilles indiscrètes pour jouer quelques mélodies qu’il avait composées, les cheveux encore humides et le t-shirt adhérant comme une seconde peau à son torse musclé.

C’était sa vision de la dolce vita, la liberté, la quiétude de la nuit et un peu de musique…

La soirée était déjà bien avancée, et seul un silence étouffant pesait dans les enceintes de l'école Botticelli. La température était élevée en ces premiers jours de Septembre, et les fenêtres de l'internat étaient grandes ouvertes, béant pour un souffle d'air qui viendrait alléger l'atmosphère pesantie dans les chambres. En cette onzième heure de l'après-midi, tous les étudiants étaient déjà couchés, tombés dans un profond sommeil que seule la chaleur leur permettait pour, dès l'aube, pouvoir se lever et vivre leur passion comme jamais.

Une silhouette gracile descendait les escaliers à pas rapide, portant un tee-shirt démesuré imprimé d'une tête de mort enflammée hurlant "I love Metallica". Beth, reputée pour son étourderie, avait dû emprunté ce tee-shirt à un quatrième année - qu'elle draguait souvent par ailleurs, et le vêtement, beaucoup trop grand pour son corps mince, glissait de ses épaules les dénudant et les dévoilant à la lueur spongieuse de la Lune.

La ballerine étaient pieds nus, et foulait l'herbe humide à petits sauts, le regard levé vers le ciel indigo orné de multiples étoiles lumineuses. Ce spectable la ravissait encore et toujours, et elle finit son chemin les bras étendus et tournant sur elle-même. Arrivée au centre d'une étendue d'herbe, Bee s'arrêta de tourbilloner et tendit l'oreille, quelques notes que l'on tirait d'une guitare se faisait entendre. La douce mélodie provenait de derrière un bocage, et curieuse de nature, la jeune femme s'élança à la recherche du musicien. Gambadant gaiment, elle contourna le bosquet, passa devant une statue sur laquelle poussait des herbes folles et trouva, assis sur le dossier d'un banc, le musicien.

Elle n'était pas surprise de voir là Enzo, le visage penché sur sa guitare avec sa nonchalance habituelle et son charme pûrement italien. A une heure où tous rêvaient déjà, lui continuait son rêve éveillé, avec sa musique, et la nature. La danseuse s'avança sur la pointe des pieds, avant de le rejoindre et de d'assoir sur le banc à côté de lui, posant ses pieds nus sur l'assise de bois. Remettant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle posa son menton dans ses mains en coupe, et déposa un regard dans lequel brillait une lueur de malice sur Enzo.[/i]

Il avait les yeux clos et pourtant pas une seule fausse note ne venait enrayée la mélodie. C’était comme i il était tout entier imprégné de ses notes et qu’il connaissait chaque détail de son instrument, ne faisant presque plus qu’un avec lui. C’était à peu de choses près ce qu’on appelait la passion, une passion dévorante, héritée de son frère et qu’il continuait à entretenir en son honneur. Il savait qu’elle avait été toute sa vie, elle serait donc toute la sienne… C’était d’ailleurs un morceau composé par son aîné et son groupe qu’il jouait là, le premier morceau qu’il ait jamais appris à jouer. Un frère qui s’était perdu en poursuivant d’innombrables chimères et des rêves de gloire. Il était arrivé à un point où il avait perdu la notion de ce qui était vraiment important et de ce que sa musique représentait. Et il avait fini par se perdre lui-même…

Il était tellement absorbé dans sa tâche qu’il ne remarqua la douce et fragile danseuse qu’une fois qu’elle se fut installée près de lui, l’envoûtant d’un parfum délicat et ô combien sensuel qu’il n’aurait su définir. Un sourire gagna ses lèvres rosées et il releva son visage délicieusement hâlé par le soleil d’Italie pour le porter sur la jeune femme, son regard émeraude répondant à l’étincelle mutine qui brillait dans celui ambré de Beth.

Il ne stoppa pas pour autant de jouer de la guitare, sachant très bien qu’elle aimait venir l’écoutait. Depuis qu’ils se connaissaient il était arrivé maintes fois qu’elle vienne avec quelques amis passé la soirée dans sa chambre. Quelques douceurs et boissons et il refaisaient le monde au milieu d’éclats de rire et de mélodies endiablées. Il arrivait même parfois que ces réunions aient lieu en plein air et que les femmes se mettent à danser.

Lorsque les dernières notes de la chanson retentirent dans la douce chaleur de la nuit, le sourire du jeune homme s’élargit. Il se souvenait encore de leurs retrouvailles épiques dans le hall de l’école.

« Buonasera Bambina… »

Enzo avait senti sa présence comme toujours, on aurait dit que tous les italiens étaient dotés d'un sixième sens qui les avertissait de la présence d'une jeune femme à moins de quinze mètres à la ronde. Gardant son regard plongé dans les yeux verts du jeune homme, Bee se contentait d'écouter la mélodie, trop lasse pour pouvoir danser dessus et montrer toute la grâce dont elle était dotée. Et même sans danser, elle dégageait cette fragilité et cette douceur qui lui étaient propres.

Il faisait encore très chaud à la nuit tombée, et l'air était comme emprunt d'humidité. La jeune femme passa le dos de sa main sur son front, et peut-être était-ce le fait que ses yeux tombèrent sur les muscles saillants, qui se dessinaient à travers son tee-shirt, mais une bouffée de chaleur colora les joues de la jeune femme qui fuit soudain le regard du musicien.

"Good evening gorgeous" finit-elle par répondre, presque dans un murmure.

Ils étaient bien seuls ce soir-là, et ils ne s'étaient pas retrouvés vraiment seuls depuis... longtemps. Chaque fois qu'ils se voyaient, c'était toujours accompagnés d'un nombre considérable d'amis et de connaissance qui venaient passer la soirée en bonne compagnie. Alcool, musique et danse, ils s'ennivraient tous de la drogue des artistes, profitant pleinement de leur jeunesse et de la chance qui leur étaient donnée. Après tout, tous étaient des êtres exceptionnels...

Le sourire du jeune homme finit par venir s’imprimer sur ses prunelles, envahissant son regard et le rendant plus hypnotique encore qu’à l’accoutumée. Il ne savait, il ne pouvait mentir car tout de suite la flamme qui brûlait dans son regard le trahissait. Il était de ces personnes qui ne connaissaient que la franchise et dont la pudeur était absente du moindre de ses gestes. Italien il l’était, du bout des orteils à la pointe de ses cheveux ébènes.

Il déposa à ses pieds l’instrument et passa une main dans la masse de cheveux indomptables qu’il arborait légèrement plus longue que l’année précédente. Enzo avait toujours été un homme simple, s’habillant sans vraiment faire attention à ce qu’il mettait t passant un peigne dans ses cheveux seulement quand il les lavaient, sachant que de toute façon il était inutile de perdre du temps à essayer de se coiffer. Et ça lui allait terriblement bien…

« Cette chaleur va me tuer pas toi ? »

Il sortait de la douche et déjà il n’en ressentait plus les effets. La plupart du temps, avec la nuit la température baissait de quelques degrés, offrant aux romains un instant de repos et leur assurant un sommeil tranquille mais la météo semblait capricieuse depuis quelques temps et la petite brise fraîche tant attendue se faisait atrocement attendre.

Sans attendre de réponse de la part de la jeune femme, qu’il savait d’ailleurs par avance positive étant donné la tenue plus que légère qu’elle portait, il se leva et tandis la main à la demoiselle, saisissant de l’autre son précieux instrument.

« Mais j’ai une idée… » ajouta-t-il un brin malicieux.

C’était formellement interdit, encore plus à une heure aussi tardive et ça n’en rendait que l’idée plus tentante encore. La piscine de l’école, seul endroit où l’on pouvait encore glaner un peu de cette fraîcheur salvatrice. Et elle serait toute à eux… Si bien sûr ils ne se faisaient pas pincer…

Beth souffla sur on visage, faisant voleter les quelques mèches de cheveux qui ne s'étaient pas collées sur son front. Elle hôcha la tête avec un sourire, se redressant légèrement et inspirant profondément l'air tiède et humide, avant d'essayer de se rafraîchir légèrement en ramassant ses cheveux d'une main au-dessus de sa nuque. Son prétendu pyjama n'était pas décidé à rester en place sur ses épaules, et il glissa un peu plus le long de son bras, dévoilant sa clavicule. Elle n'était pas de ces jeunes femmes terriblement sexys que les garçons s'amusaient à reluquer sur papier glacé à la lueur d'une lampe de poche, mais elle possédait un charme indéniable, et ce soir, il était décuplé alors qu'une nouvelle sensation s'emparait d'elle pendant qu'elle considérait Enzo du coin de l'oeil.

"Ah bon ?"

Mais à voir ce regard bourré de malice, Bee n'eut aucun mal à discerner où il voulait en venir. Après ces trois années passées ensemble, elle finissait par le connaître, et tous deux avaient plusieurs fois faits les quatre cent coups dans un consensus qu'eux seuls partageaient. Et ils avaient déjà évoqué cette idée plusieurs fois... La piscine de l'école Botticelli était digne des plus grands hôtels, et le gardien oubliait parfois de la fermer à clé. Et puis même s'il le faisait, crocheter une serrure n'était pas très difficile...

Bee prit la main d'Enzo, descendant elle aussi de son perchoir, et se mordant la lèvre d'excitation, regarda rapidement si quelqu'un était dans la parages. La réponse était négative, c'est en retenant un fou-rire qu'elle s'élança dans une course effrenée vers la piscine, jetant des regards furtifs autour d'elle quand elle y pensait.